Dans cette vidéo, je vous parle de l’influence du manque d’oxygène (hypoxie) lors d’un de mes vols parapente en haute altitude. La vidéo commence tout d’abord une analyse de la manière dont je pilote, puis continue vers mon ressenti là-haut. Enfin, je vous parlerai rapidement d’un résumé de plusieurs étude scientifiques sur les fonctions cognitives selon l’altitude et la durée d’exposition. On peut considérer que, pour les tâches complexes, dès 2600 m il y a des latences à répondre correctement aux tests. Et qu’environ dès 3300 mètres, le nombre d’erreurs est augmenté. Si l’on transpose ces analyses au pilotage en parapente, on pourrait imaginer que, du fait du temps de réaction augmenté dès 2600m, les pilotes sont à risques de surpilotage (pilotage adapté mais trop tard). Et dès 3300m, le risque d’erreur augmente.
Pilote-on pareil en altitude ?
Pilote-on pareil en altitude ? Les grandes hauteurs sont synonymes non seulement de froid et de manque d’oxygène, mais aussi d’une plus grande vivacité de notre aile. Plein de facteurs de stress à étudier en l’air… et au labo de recherche !

Dès 2600 mètres, les études scientifiques prouvent que les fonctions mentales conscientes sont plus lentes, mais tout de même opérationnelles. Et surtout on ne s’en rend pas compte de cette perte de facultés. Entre 2600m et 3300m, c’est la zone « orange » à risque d’accident, surtout par surpilotage.
Par exemple, au dessus de la Dent de Crolles à Grenoble ou au dessus du Pic d’Aspe à Superbagnères de Luchon, lorsque la voile commence à avoir un mouvement intense d’abattée en avant (avec possibilité de fermeture), le pilote réagira correctement (frein), mais en retard. Dans ce cas, le freinage sera réalisé alors que l’aile, si elle n’a pas fermé, aura déjà commencé à revenir en arrière par effet pendulaire. Le risque de surpilotage est donc réel et plus marqué. Et ce fameux pilote en manque d’O2 peut ne même pas se rendre compte qu’il est dans le rouge : ces cellules là sont off dès cette hauteur.
Au niveau visuel, le champ visuel rétrécit peu à peu, les cellules détectant les couleurs (les cônes), étant plus fragiles. Pas très pratique pour chercher les contrastes et les ascendances. Pareil, le pilote ne s’en rend pas compte…

Dès 3300 mètres, le cerveau réagit dans ses actions conscientes non seulement plus lentement, mais aussi parfois fait des erreurs. Bip ! C’est la zone « rouge ». Le pilote au dessus de l’Aiguille de Bionassay en route pour le Mt Blanc est à risque de surpilotage mais aussi de mauvais pilotage (faire un contre-sellette sur le mauvais côté et en retard lors de l’amorce d’une fermeture asymétrique).
Et sur le plan psychologique ?
Ouh lalala ! Vaste question ! Certaines études montrent que les sujets en haute altitude soient enclin à l’euphorie, d’autres au stress et à l’anxiété. De quel sens que soit modifié notre état d’esprit, il est certain que le manque d’oxygène influence grandement notre humeur. Cela nous conduit-il à prendre plus de risque lorsqu’on est désinhibé, euphorique ? Ou au contraire à être plus conservateur, plus enclin à la prudence chez ceux-celles qui deviennent anxieu-se-s ?
Il y a des histoires lors de vol en haute altitude, notamment le survol du Mont Blanc, où des pilotes auraient forcé le posé, atterrissant parfois de manière dangereuse, dans la pente par exemple. Mais est-ce vraiment l’hypoxie qui a engendré cette prise de risque supplémentaire ? L’effet de groupe : quand 100 personnes sont posées, pourquoi pas moi ? La fatigue, le stress ? L’abnégation des risques par envie de réaliser ce qui peut être vécu comme un accomplissement personnel ?
Pour l’instant les études scientifiques ne peuvent prouver une augmentation significative à la prise de risque chez les sujets en hypoxie. On sait que le caractère change, mais après… On a une petite idée de comment s’y prendre pour tester le risque en altitude, et sans danger en plus ! A suivre… ptet ben 🙂 !
Alors comment gérer l’hypoxie ?
C’est bien beau de dire que c’est dangereux, mais la montagne est bien belle aussi… Alors, comment faire ?
1/ En emmenant une bouteille d’O2 avec soi ? C’est plutôt encombrant… mais ça peut être indispensable selon l’altitude visée et son acclimatation préalable (cf 2/). La réglementation aérienne impose aux avions une supplémentation d’oxygène dès 3000 mètres d’altitude.
2/ En s’acclimatant à l’altitude, par exemple en dormant en altitude plusieurs nuits de suite. C’est ce que font les alpinistes habituellement avant de craquer un sommet. Et c’est aussi une des manières de survoler une montagne à 8147 mètres sans apport d’oxygène. Les effets de l’acclimatation persistent entre 2 et 3 semaines sur le manque d’oxygène. Mais le fait d’avoir cumulé des globules rouges permettra au pilote de s’entraîner plus à l’effort en altitude conventionnelle
3/ En utilisant sa mémoire inconsciente de pilotage. C’est une technique très intéressante mais aussi la moins sûre… Comment ça marche ? Tout ce qui a été écrit plus haut est vrai, mais seulement pour les actions conscientes. Le pilote ressent une abattée droite, il réfléchit et il contre avec sa sellette à gauche, et freine à droite. Mais pour les actions inconscientes, réflexes conditionnés par l’entraînement, c’est différent. Lorsqu’il vole en laissant ses réflexes de pilote faire le travail, c’est un autre circuit de neurones qui est utilisé pour réaliser la même action. Et ces neurones, d’après les études scientifiques, sont plus résistants au manque d’oxygène. Le pilote peut tenter cette méthode pour voler en haute altitude, mais
4/ Le patrimoine génétique aussi a son rôle à jouer. Les himalayens vivant sur les plateaux à plus de 5000 mètres ont acquis au fur et à mesure de nombreuses générations des caractéristiques génétiques leur permettant de mieux tolérer le manque d’oxygène. Un caucasien alpin depuis 3 générations ne peut prétendre à cette résistance innée.
5/ En respirant différemment. Contrairement aux idées reçues, respirer plus vite détériore l’oxygénation du cerveau. Cela diminue le taux de CO2 dans le sang et les artères du cerveau rétrécissent : les globules rouges chargées d’oxygène ne passent plus par des autoroutes mais par des chemins de campagne, et le cerveau n’est pas gagnant. La respiration lente et profonde est quant à elle plus adaptée. Cette respiration particulière peut être réalisée au mieux avec le ventre : la respiration abdominale. Cette respiration physiologique est d’ailleurs est un très bon moyen de se calmer et de se rassurer. A 3000 mètres près des cailloux, ça peut aussi servir !
6/ Un dispositif visant à concentrer l’oxygène sans bouteille est en train d’être mis au point par des chercheurs français… à suivre !
7/ Enfin… Augmentez vos marges : des marges au relief, car le temps de réaction allongé ne vous aidera pas à contrer cette fermeture qui vous fait tourner vers le caillou. Augmentez vos marges : le vol devient vite fatiguant, le cœur s’accélère en altitude. Augmentez vos marges : c’est une journée où vous n’êtes pas au top de votre forme, motivé et lucide ? La montagne, l’hypoxie ajoutera du plomb à vos plumes, déconnectera insidieusement vos neurones. Augmentez vos marges, parce qu’on peut encore prévoir ce qu’il se passe si haut. Et bons vols !

Après tant d’années à le voir d’en bas et à s’entraîner…
Ce que notre étude sur le manque d’oxygène espère apporter…
En collaboration avec les laboratoires INSERM de Caen (COMETE), Grenoble (HP2) et Clermont-Ferrand (Neurodol), nous aimerions réaliser une série d’expériences sur des pilotes volontaires à différentes altitudes pour déterminer les altitudes à risque d’accident (zone orange et zone rouge). Un projet dans les bacs … qui sans subventions se fait attendre !